Hanibal Srouji

April 02, 2003 to May 02, 2003
Solo by Hanibal Srouji
Galerie Janine Rubeiz

Hanibal Srouji

Face à face, corps à corps

La toile, la terre. L'acrylique, l'eau. Et le feu, à travers l'air, qui ronge les bords des bandes oblongues pliées et dépliées en quatre ou huit rectangles égaux, dessinant des lignes d'indentations irrégulières. Sur ces lisières longitudinales, il laisse des traces brunes, signature de son passage oxhydrique.

Ces rognures, minuscules caps et criques, sont le premier relevé sismographique pour ainsi dire de la main découpeuse de l'artiste en train de délimiter son territoire, étroite langue de lin autosuffisante, quoique potentiellement capable de s'associer par contiguité à un nombre indéfini de supports homologues. Les bandes naissent et vivent en fratries, familles de trois, quatre, cinq, six, sept, huit fausses jumelles et faux jumeaux.

Le feu ne se contente pas de ces travaux cadastraux et cartographiques, il s'attaque au cœur du sujet, perçant des trous aux bords calcinés qui relient, par le vide, le recto et le verso, la face visible et la face cachée, ouvrant le chemin à la possibilité d'une prolifération qui abolirait non seulement l'intégrité territoriale mais jusqu'au territoire lui-même. L'automutilation de l'œuvre deviendrait alors auto-immolation, un holocauste par le feu dévorant, un autodafé. Sa création coïnciderait alors avec son sacrifice, son apparition avec sa disparition.

C'est là une tentation permanente chez Hanibal Sroui qui cherche à l'équilibrer dans ses diptyques par la juxtaposition d'une toile entamée, constellée de trous charbonneux, et d'une toile monochrome intacte qui est ce qu'aurait été l'autre sans l'intervention pyromane, façon d'accoler le réel et le virtuel, la virginité et la défloration. Srouji tente même de raccommoder la virginité perdue en superposant une toile trouée à une toile intacte.

Puisqu'il s'agit de peinture, le feu, une fois sa part réservée, fait le lit de l'eau, de la couleur. Nouvelles constellations de trous fictifs rouges, verts, bleus sur toile écrue.

Minimalisme, aussi, dans l'alternance des plages colorées et des plages originelles, réserves naturelles protégées.

Cette succession de panneaux eux-mêmes autocontenus, minibandes au sein de la maxibande, produit une sorte de musique visuelle. Les bandes juxtaposées font office de portées et d'instruments, d'écriture et d'interprétation, de voix en parallèle ou en contrepoint, d'autant plus nombreuses que le thème appelle une plus ample orchestration.

La notion de bande pliable transforme complètement le statut du tableau. Ce n'est plus un objet fixe accrochable au mur, c'est un objet mobile, manipulable. Le format du support change, son unité se fragmente ou se multiplie, selon le point de vue, le rapport de l'amateur avec l'œuvre est remis en question.

Au lieu du face à face traditionnel, chacun restant confiné dans son espace privé, c'est désormais le corps à corps, le corps de l'oeuvre sollicitant le corps du regardeur et vice versa. La peinture n'est plus protégée par une aura d'exclusion qui vous tient à distance respectueuse, elle vous invite à jouer familièrement des mains comme des yeux, à lui manquer de respect en l'emportant dans votre sac ou même dans votre poche pour la sortir à loisir comme on sort un livre qu'on n'a pas achevé de lire.

Joseph TARRAB

 

Entrer dans le "jeu"

... Je vois l'Art en général, et la création artistique en particulier, comme un chemin de libération personnelle d'abord, et collective ensuite. C'est le "jeu" et la création ou plutôt la "re-création" ... Le jeu placé entre "je" et "jeu"; le jeu sérieux, le jeu critique par rapport au travail de création, le jeu libérateur..

Je voudrais quelque part, libérer la toile de la pesanteur et de la gravité qui nous pousse à voir l'œuvre dans un sens unique. Le fait de pouvoir "jouer" avec les œuvres, et de les voir non seulement comme l'artiste propose de les voir, mais aussi comme le spectateur peut imaginer les voir... et entrer ainsi dans le jeu de la

"re-création"

Quelque part, mes bandes font référence aux âmes des gens que je qualifie d'êtres de lumière, d'êtres simples, qui œuvrent dans le sens positif dans ce monde, et à qui je dédie cette exposition.

Hanibal Srouji,

 Mars 2003