Huguette et Nadine
L'histoire d'une amitié
« Huguette avait la joie de vivre et pour elle, tout était possible… Sa liberté et sa façon de penser prenaient le dessus et elle t’entrainait avec elle » c’est ce qu’évoque avec beaucoup de tendresse Nadine Begdache en parlant de son amie, l’artiste Huguette Caland.
C’est en 1993 que Nadine, qui vient d’ouvrir la galerie Janine Rubeiz, propose à Huguette une exposition à Beyrouth. Séduite par l’idée, cette dernière accepte immédiatement. En 1994, quelques mois avant le vernissage, Huguette s’installe à Adma dans une maison mise à sa disposition par son fils Pierre. La vue sur la baie de Jounieh ravive des souvenirs : la maison de ses parents à Kaslik qui devient celle de la famille pendant une dizaine d’années, son premier atelier dans le jardin de la propriété, les déjeuners du dimanche avec les nouveaux amis de l’AUB, sa première exposition avec Helen Khal... Là, sur les hauteurs, elle travaille sans relâche et crée la première série de Faces and Places.
Si le Liban des années 90 est marqué par la reconstruction de Beyrouth, par l’énergie et l’enthousiasme de tout un pays au sortir de la guerre, pour Huguette Caland, ses années californiennes sont plus difficiles. Ce sera donc grâce à Nadine, qui reconnait la valeur du travail, à sa programmation régulière qui fidélise le public libanais puis plus tard celui du golfe, qu’Huguette peut enfin vivre de son métier d’artiste.
La première exposition Faces and Places en 1994 déconcerte le public libanais, qui sera toutefois séduit par celle de 1997. C’est le début d’une collaboration qui durera vingt-cinq ans au cours desquels Nadine et Huguette sont en rapport permanent, dans une sorte de consultation ininterrompue. Presque tous les soirs avant de se coucher, Nadine appelle Huguette qui commence sa journée à Los Angeles ; elles bavardent ; Nadine lui raconte ce que les clients désirent, les tailles et les couleurs des œuvres qu’ils souhaitent. Huguette, excitée par cette aventure, est toujours partante. « Elle était très sérieuse, et bien qu’elle se soit toujours sentie libre de faire ce qu’elle voulait, elle était consciencieuse et motivée » ajoute Nadine. Tout est facile entre elles, elles parlent de tout, rigolent souvent et lorsqu’elles se retrouvent, c’est comme si elles s’étaient quittées la veille. Nadine se rend chez Huguette en Californie à trois reprises dans les années 1990, et les deux se voient régulièrement, aussi, à Paris lorsqu’elles y sont de passage. Là, attablées à une terrasse place de l’Alma, face à la tour Eiffel, elles boivent un verre, rient d’un rien et partagent de délicieux repas.
Lors des vernissages au Liban, Huguette retrouve les amis, la famille et les collectionneurs de tous âges qui commencent à suivre son travail. Nadine évoque non seulement l’impact qu’ont certaines expositions, comme L’argent (ne fait pas le bonheur mais y contribue largement), Mes jeunes années, la rétrospective au Beirut Exhibition Center, mais également l’exemple qu’Huguette devient pour les artistes émergents.
A partir de 2013, lorsque Huguette revient au Liban et s’installe à Kfarhbeib, Nadine, malgré l’état des routes et la circulation infernale entre Beyrouth et Jounieh, lui rend visite une fois par semaine ; souvent ce jour-là, elles déjeunent ensemble et Huguette, déjà malade, fait encore des plans. A partir du mois de mars 2018, Huguette déménage à Beyrouth pour y passer les derniers mois de sa vie, et Nadine, sa voisine du 7ème étage, passe la voir régulièrement lui apportant une kebbeh arnabiyyeh ou un autre de ses plats préférés.
Avec une pointe de nostalgie, Nadine confie : « C’est vrai que ce furent mes plus belles années : le travail était une joie, un plaisir, les échanges très cordiaux, ouverts, authentiques. J’aurais souhaité que cela dure encore, cela me semble avoir été trop court ». De cette complicité, il reste des souvenirs heureux, des photos de vernissages et d’anniversaires, mais pas de trace de conversations téléphoniques ou de la relation épistolaire entretenue par fax. Alors, à l’occasion des trente ans de la galerie Janine Rubeiz, cette exposition propose, à travers des moments phares, de retracer la collaboration et l’amitié qui s’est établie au fil du temps entre Huguette Caland et Nadine Begdache.
Brigitte Caland
Septembre 2023
Exhibition curated by Brigitte Caland.
Exhibition design by Karim Bekdache.