Jamil Molaeb - Les Belles Endormies

November 01, 2006 to November 25, 2006
Solo by Jamil Molaeb
Galerie Janine Rubeiz

Jamil Molaeb - Les Belles Endormies

Holy Body

Your body is a deep pool

Its surface reflects the sky

and my mood

Your hand is destiny's mirror

The heart-line, the head-line

How can I explain these fascinating secrets

Every body is unique

Every body is holy

 

Jamil Molaeb

New York 1987

 

 

LES BELLES ENDORMIES

Le corps de la femme a toujours été, à son corps défendant, le lieu d'un corps à corps. Entre ceux qui, le frappant d'interdit (cachez ces seins que je ne saurais voir), y voient le corps du délit, et ceux qui, levant l'anathème (faites voir ces seins que vous ne sauriez cacher), y voient le corps de toutes les délices. Pour les uns, le corps de la femme est son péché capital, sa culpabilité originelle, le symbole de la déchéance humaine. D'où le tabou, l'exclusion, la réclusion, le voile. Pour ces précurseurs de Christo, un bon corps est un corps emballé, soustrait aux regards concupiscents du désir appropriateur étranger. Aux yeux des autres, le corps de la femme est l'épiphanie du divin, le porteur de toutes les révélations vitales, le symbole de l'excellence de la condition humaine : il faut l'exposer aux regards, célébrer ses multiples splendeurs, exalter sa voluptueuse magnificence, multiplier ses images et ses effigies, quintessences d'une beauté intemporelle, quels qu'en soient les canons.

Jamil Molaeb marche sur la ligne de démarcation, un pied d'un côté, un pied de l'autre. Tout comme il opte à la fois pour le figuratif et le non-figuratif, il peint, à la fois, des femmes voilées et des femmes dévoilées. Quand il veut magnifier la vie rurale collective, il les voile, quand il veut magnifier la vie individuelle privée, il les dévoile.

Cette exposition est en quelque sorte une rétrospective de son rapport au nu féminin. D'abord la période académique où il fait l'apprentissage de l'anatomie dans ses justes proportions et ses diverses postures. Il faut à la fois dessiner le corps avec précision et noter ses postures avec une sorte de sténographie instantanée. Peindre le corps, c'est aussi l'écrire. Puis une série de périodes où le nu devient non seulement le support et le témoin de l'évolution de sa technique et de son style mais également de ses pérégrinations entre Beyrouth, Bsous, New York, Damas, Le Caire et Louxor, de son regard et de ses états d'âme qui changent avec les saisons et les ans.

Le nu va chez Molaeb au-delà du nu. Il sert à perpétuer tel moment singulier de son existence (en ce sens, certaines de ses gouaches sont comme des pages de son journal intime), à traduire l'exultation de la découverte simultanée de la peinture et de la femme ( les toiles beyrouthines de 1972, crépitantes de couleurs et de formes : le nu y est en quelque sorte le point d'orgue où le chromatisme fauve, sonore et enfiévré vient s'apaiser en tons de chair), à mettre en relief, en consonance avec les péripéties de la vie intérieure, la présence ou l'absence du décor, la prédominance de l'ombre ou de la lumière, du coloris grave ou léger.

En 1986, il est à New York, dans un atelier de Brooklyn, studieusement appliqué au dessin du modèle. Le voici, en 1995, à Damas, dans une chambre d'hôtel : le lit, le papier peint, la commode avec le téléphone rouge, la porte et l'odalisque dans une pose de délectable abandon. Le pinceau chargé de gouache se fait allègre, délié, caressant. Les couleurs sont gorgées de lumière même avec les volets clos. L'odalisque à la chair ferme, souple, fraîche et, on le sent presque, parfumée, croise les mains derrière la tête, formant avec les bras un triangle où s'inscrit le visage. Les yeux et la bouche forment un deuxième triangle, un troisième la bouche et les mamelons, un quatrième les mamelons et le nombril, le cinquième est le delta pubien dont le noir fait écho à celui de la chevelure.

En 1997, un endroit indéterminé, sans aucun décor. Absorbée dans sa solitude et sa tristesse, la femme est couchée à même le fond avec lequel elle tend presque à se confondre, tel un plissement tectonique. Elle est plongée dans l'ombre, en couleurs terreuses, avec juste un rayon de soleil ou une touche de couleur pour éclairer un sein, un mollet, une cheville. Mais bientôt l'humeur s'allège, la couleur s'éclaircit, la pose se détend, le nu flotte sur sa couche, se tourne vers l'autre, dévisage le peintre et/ou le regardeur. Il y a du champagne dans l'air. Puis le peintre reprend ses voyages accompagnés et nous propose une belle debout devant une fenêtre avant de s'endormir devant un balcon donnant sur la même vue dans une chambre d'hôtel sur les bords du Nil. L'état d'esprit est passé de l'introversion totale à une complète extraversion. Le monde extérieur, qui avait disparu, se remet en place avec ses coordonnées d'espace et de temps. Ce que confirme une gouache avec une Egyptienne aux seins généreux glissée sous une couverture multicolore devant une fenêtre à Louxor.

L'année suivante, en 1998, à Beyrouth, Molaeb, au comble de l'extraversion, écume les plages, peint des naïades debout en escamotant leur peu de vêture. Et c'est aussi debout qu'il peint, en 2000, au Caire, une adolescente du cru à peine pubère, impudique et néanmoins si embarrassée qu'elle se tient comme au garde-à-vous.

L'intérêt de cette exposition est qu'elle n'a pas été planifiée, qu'il a fallu à Molaeb fouiller dans ses tiroirs et son grenier pour y retrouver des œuvres oubliées, réalisées au bonheur la chance et l'occasion. C'est à cause de leur spontanéité qu'elles gardent cet accent d'impromptu et de vérité, de capté sur le vif, et qu'elles dépassent leur sujet pour éclairer la chambre secrète d'un

Molaeb amateur de belles endormies.

Joseph TARRAB

2006