Jamil Molaeb - Serenity

November 05, 2008 to November 26, 2008
Solo by Jamil Molaeb
Galerie Janine Rubeiz

Jamil Molaeb - Serenity

ANTIPHRASE

 

Même dans ses acryliques les plus épurés, aplats quasi monochromes ultrasaturés, comme s'il y cherchait l'extrême limite de condensation et de vibration lumineuse d'une couleur particulière, Jamil Molaeb ne s'est iamais autorisé à succomber au déni total de l'objet. Toujours, une allusion fait signe vers un certain réel, telles ces « fenêtres » noires dans ces tableaux aux rouges exacerbés ou ces « mers » aux bleus impossibles.

Il voudrait empêcher le regard de perdre ses repères dans une exaltation picturale purement bidimensionnelle, il ne s'y prendrait pas autrement.

Sublimer, il veut bien, pourvu qu'il reste une forme reconnaissable, une bouée de sauvetage dans le naufrage du monde extérieur.

 

C'est lui la mouette en sentinelle au bord de l'eau. Entièrement regard, contemplation, méditation, elle infuse le paysage marin, où une «fenêtre» s'ouvre à l'horizon sur un arrière-ciel, d'une dimension intérieure.

 

Chez Molaeb, l'oiseau fait souvent le lien entre la thématique de l'eau et celle de la terre, des travaux et des jours de son village natal. Là, même si les attitudes et les gestes sont stylisés, plus trace d'abstraction, voire de généralisation: les personnages sont réels, identifiables et nommables, les activités sont concrètes (tonte des moutons, cueillette des oranges, visite au mazar de Nabi Ismail, etc.), le milieu humain spécifié. Malgré le réalisme scrupuleux de l'observation, le système de la représentation tend vers une exaltation et une sublimation d'un ordre tout à fait différent qui transforment même le plus banal quotidien paysan en une épopée plastique si solennise, voire sacralise chaque instant en le ritualisant: le dessin s .aire, brisé, anguleux, presque géométrique hiératise les corps et les gestes en leur conférant dignité et noblesse; la disposition scénique frontale distribue les personnages verticalisés dans l'espace oblong en succession alternée sur fond bidimensionnel; les plans d'ensemble extrêmement rapprochés remplissent toute la surface disponible et créent une forte dramatisation en abolissant tout recul, toute distance avec l'oeil du regardeur, malgré leur monumentalité de fresque; la rythmique posturale et gestuelle renforcée par un chromatisme intensifié et contrasté produit une impression d'intemporalité et d'universalité même si Molaeb revendique, défend, illustre et célèbre son appartenance druze.

 

Le sens de cette démarche semble lié pour lui à la solidarité chorale de cette vie collective organique où chaque membre, homme, femme, enfant, jeune ou vieux, a une place, une fonction, un rôle assignés dans toute activité participative, apogée conviviale du vivre-ensemble dans l'intégration, l'entraide, la bienveillance et l'harmonie.

 

Vision passéiste idyllique à la Rahbani? Sans doute. Utopie irréalisable?

Certes. Mais aussi description critique, par antiphrase, de nos détestables moeurs actuelles, de nos interminables querelles, de notre incapacité croissante à nous tolérer les uns les autres. Si le village ne nous a pas sauvés, la ville nous a perdus.

 

Joseph Tarrab

Août 2008