Lorsqu'à ses débuts Joseph Harb entama une première série d'aquariums il relevait sans doute le simple défi d'évoquer, par des moyens de plus en plus opaques, l'irréalisante transparence de l'eau. Aussi a-t-il réduit son poisson à l'état d'une esquisse légère sans qu'en rien il ait pu libérer ses espaces d'un encombrement irréversible. L'espace était pour lui cette transparence d'autant plus perturbée qu'essayant de saisir l'insaisissable, il mettait tant d'obstination à en préciser les traits... Si le manque d'espace demeure un
"point chaud" de sa recherche picturale ce n'est pas tant parce que l'aquariophile s'est enfin identifié à ses poissons, mais plutôt parce que l'espace chez Harb est portraituré au lieu d'être occupé. Aussi a-t-il fait des portraits de montres.
De la même manière, ces montres figuraient le manque de temps. Mais dans les deux cas ne s'agirait-il pas plutôt, quelque inconcevable et impraticable que cela pût paraître, d'une inversion de l'espace et du temps?
Exondé, le poisson est devenu un miroir temporel. Son évocation picturale allait amener Harb à peindre de changeants mirages où nagent ces mirages de l'origine.
La boîte qui entre-temps s'est imposée aurait pour rôle de fixer les limites où s'illimite le regard... Plutôt des éclatés de boîtes. Un déboîtement généralisé avec, pour unique liant, ce peu de chose: la ressemblance. Posée "en regard" de son modèle (le poisson fossile d'abord, mais par la suite tout autre objet ou fragment de la réalité), la peinture doit trouver sa place, donc sa légitimation, dans ce non-lieu que le lien vague de la ressemblance instaure.
C'est la nostalgie de l'origine et de l'immédiat. Elle se dépose sur les choses comme la poussière des greniers et des vieux tiroirs. Figurant la nuit qui dispose la boîte et dispose d'elle, ces points aveugles donnent à voir ou plutôt à imaginer ce qui est à l'ouvre dans un espace décomposable et recomposable à volonté, ce qui se cherche par les moyens de la perte en simulant la perte de tout moyen, ce qu'il y a de désarmé et de désarmant dans l'art de Joseph Harb.
La nuit serait-elle une issue du regard?
Jacques Aswad.