Mouna Bassili Sehnaoui - Instants of Light, Moments of Grace

November 03, 2004 to December 02, 2004
Solo
Galerie Janine Rubeiz

Mouna Bassili Sehnaoui - Instants of Light, Moments of Grace

Un secret simple et difficile

Le monde est tragique et merveilleux. Nul ne l'ignore dans notre village médiatique global où le spectateur epsilon, ni bourreau ni victime, est réduit à la condition de voyeur zappeur ingurgitant pêle-mêle sessions de tortures, défilés de mode, nettoyages ethniques, pèlerinages religieux, débauches nocturnes. Il peut même, comble du voyeurisme, ouvrir simultanément plusieurs lucarnes, petits écrans dans l'écran, sur des réalités fictives et des fictions réelles. C'est le règne du télescopage généralisé.

Mouna Bassili Sehnaoui, qui sait vivre sur maints registres à la fois, a toujours eu recours au télescopage des temps, des espaces, des perspectives, des propor-tions, des genres, des objets, des techniques, des couleurs, des idées, des signes, des notations, des écritures pour conférer à ses œuvres, en apparence si simples, si sages et si directes, un sens plus complexe, une pluralité de dimensions, d'échappées hors de l'ici et du maintenant dans lesquels elle semble absorbée.

L'habitude de capter au vol, dans le cahier de croquis dont elle ne se sépare jamais, les moments priviligiés de son existence dédouble déjà son regard: un œil sur le vécu, un autre sur la perception proactive, le dessin du vécu. Cette distance avec elle-même et avec le monde, qui aiguise la fine pointe de l'attention et stimule l'éveil d'une conscience à multiples facettes, est en soi un exercice spirituel. Tout comme la focalisation sur l'instant présent qui permet d'en savourer la quintessence, d'en cueillir la fleur, sans mémoire du passé, sans projets d'avenir, rien que la plénitude d'un moment de grâce, d'un instant de lumière.

Plénitude qui n'est parachevée que par son partage: jouissance participative, conviviale, par la capture, pour mieux les donner à goûter, des moments de paix, de sérénité, de rêverie, d'absorption, d'écoute, de contemplation où le soi et le monde s'accordent mystérieusement, se répondent dans une sorte d'harmonie préétablie.

Fixées sur le carnet, ces intensités vécues se métamorphosent, s'affranchissent de la stricte obédience réaliste pour devenir des variations sur un thème, telle la série sur le jazz où, en fin de compte, les musiciens s'éclipsent pour laisser place à l'ivresse des instruments saoulés par leurs propres sonorités, claviers qui s'envolent, cordes qui vibrent par sympathie.

Instants lumineux arrachés à la destruction et à la mort, gemmes de vie sauvées du brasier de l'Histoire immédiate. Les noter envers et contre les atrocités de l'Histoire est une manière de résister, de ne pas se laisser emporter par son vent mauvais, de rester lucide face à l'innommable, de préserver sa part d'humanité

Par leur graphisme noir minimaliste, sans pathos, presque solennel à force de stylisation, les sept tableaux bleus oblongs de la série Calligraphie du troisième millénaire forment un contrepoint saisissant avec l'exubérance colorée des autres. Mouna Bassili Sehnaoui crie à sa manière et avec ses moyens: "C'est assez, assez d'attentats, de prises d'otages, de murs de haine, de maladies animales fabriquées de main d'homme, de bombardements d'innocents, de destruction de l'environnement, de manipulation du langage et de l'information"

Sachant qu'elle crie dans le désert, elle revient à ses heures privilégiées pour révéler un secret à la fois simple et difficile: la grâce n'est ni dans le monde, ni dans les objets, ni dans l'art, ni dans la musique, ni dans un moment particulier, elle est dans notre capacité de nous ouvrir à eux, de transfigurer notre regard et notre sensibilité. El la lumière n'est pas hors de nous, elle est en nous, dans notre capacité d'illuminer les ténèbres extérieures au lieu d'en attendre l'illumination.

Joseph Tarrab