Stélio Scamanga

May 17, 2000 to June 08, 2000
Solo
Galerie Janine Rubeiz

Stélio Scamanga

Expansion Libre.

1964: Stelio Scamanga publie son manifeste "Vers un nouvel espace: la perspective de l'abstrait" auquel souscriront entre autres Mounir Naim et Adel Saghir. Il y définit une abstraction non-occidentale à espace labyrinthique, continuum complexe sans début ni fin de formes-couleurs où la lumière sourd du dedans et qui laisse l'œil errer sans répit vers un but caché. Dans le climat d'intense créativité du Beyrouth de l'époque, ce texte fut pratiquement le seul énoncé théorique à l'appui d'une pratique picturale magnifiquement pensée et sentie, en rupture avec les schèmes prédominants. Elle ne cessera de se métamorphoser sans jamais abandonner sa fascination pour la couleur dans tous ses états.

Vingt-six ans après sa dernière exposition à Beyrouth en 1974, Scamanga revient de son séjour européen avec de somptueuses incantations chromatiques: préciosité de la matière colorée, peinture à l'huile à la cire qui permet d'obtenir, par une infinie multitude de menues touches juxtaposées, superposées, décalées, entrecroisées, grattées à la spatule, une texture versicolore rugueuse imprégnée de lumière. Une sorte de miroitement mat ou de scintillation sèche fourmillant de surprises qui ravissent l'œil.

A l'ivresse de peindre pendant des heures avec une patience et une minutie extrême répond la griserie de contempler ces surfaces ultra-sensibles, vibrantes, vibrionnantes où, lyriques, denses, riantes, chaleureuses, vives, vivaces, vivantes, parfois presque phosphorescentes, les couleurs poudroient et flamboient, s'entrelaçant avec des audaces paradoxalement harmonieuses. Le regard se perd dans leurs frémissements énergétiques comme il s'égare dans les jeux rythmiques inépuisables des arabesques.

A cette singulière richesse de coloris et de matière, Scamanga combine, comme toujours, une structure géométrique sophistiquée. Ici, l'organisation de l'espace suggère une métaphore de l'existence humaine. Les barres verticales latérales, telles une solennelle porterie, marquent les bornes de la naissance et de la mort. Les aires compactes serrées les unes contre les autres avec des tonalités intenses et contrastées traduisent, au bas de la toile, les péripéties et vicissitudes de la vie, rencontres et séparations, accords et désaccords, mariages et divorces, perpétuelles agitations de l'âme qui aspire à s'évader de la pesanteur terre à terre de ce monde intérieur contracté pour rejoindre en haut la légèreté, la sérénité et la joie de l'univers en expansion libre dans le vide médian.

Ce passage kundéro-scamanguien de la pesanteur à la légèreté-soutenable/insoutenable légèreté de l'être- n'est sans doute qu'une étape dans l'ascension vers l'appréhension, au-delà de la paix intérieure enfin conquise, de l'absolu qui prend, dans une des dernières toiles, la figure du carré, plan prototype des sanctuaires de l'âme.

Joseph TARRAB