Youssef Aoun

April 14, 2004 to May 07, 2004
Solo
Galerie Janine Rubeiz

Youssef Aoun

Le lieu et l'Instrument

A distance, la toile semble lisse. De près, elle révèle à la vue et au toucher ses granulations, ses empâtements sur gaze. Texture de poudre de marbre, de ciment blanc, de plâtre, de sable, de blanc d'Espagne pétris aux pigments acryliques et finalement recouverts d'un vernis mat. La matière est si finement travaillée que la toile peut être roulée sans aucun dommage, pas même une gerçure. Maîtrise acquise par ascèse picturale, par économie d'effets. Si craquelures il y a, elles sont toujours intentionnelles.

La toile de Youssef Aoun est un champ où rien n'est laissé au hasard.

Chaque touche, chaque trait, chaque accent, chaque relief, chaque aplat est à sa place exacte, dictée par une longue et lente gestation mentale, visuelle et manuelle. Rien de gestuel, rien d'improvisé, rien de spontané, rien de fortuit. Chaque forme est taillée à la mesure nécessaire et sertie comme un chaton.

Avec ses gris, ses crèmes, ses ivoires, ses blancs, ses beiges, ses terres, tons sourds et feutrés, comme résorbés par l'excès de clarté ambiante, celle du monde extérieur comme celle des fonds lumineusement vides de ses compositions. Youssef Aoun, aussi sobre de ses couleurs qu'un poète japonais de ses mots, cisèle des haikus visuels structurés de noirs scintillants. Manière de suggérer le plus par le moins, par irradiaton harmonique de la forme, bien qu'il n'y ait rien de symbolique dans cette peinture-matière, ces formes-couleurs, ces images-sens issues d'un prototype d'anatomie humaine. Car Youssef Aoun, même dans le non-figuratif bidimensionnel, n'oublie jamais qu'il est le dessinateur.

Ces glandes, ces organes, ces enclos, ces enclaves repliées sur elles-mêmes, ces îlots, ces archipels, contractions du vide en masses compactes dont surgissent parfois de brusques érections, des saillies érotiques, entretiennent, avec une précision de mécanismes d'horlogerie, de précaires et exquis équilibres métastables les uns avec les autres et avec leur environnement. La quintessence de cette peinture si filtrée, décantée, concentrée réside dans l'insaisissable, l'indicible de ces relations pourtant visuellement évidentes. Tout à fait comme la beauté du haiku est à la fois ostensible et ineffable.

Cette indéniable qualité, cette perfection du travail de Youssef Aoun sont un paradoxe. Elles viennent d'une mémoire meurtrie, calcinée, d'une enfance de guerre, de bruit et de fureur dont les noirs lumineusement charbonneux sont l'empreinte rémanente - trace de trace, mémoire de mémoire.

Ou plutôt mémorial de mémoire: les toiles de Youssef Aoun sont, au-delà de leur magistrale subtilité, des sortes d'autels mémoriels où tout le terrible vécu d'un enfant des abris, loin de la lumière du jour, se transforme en offrande perpétuelle pour convertir l'horreur en splendeur, la régression en transcendance. La quête picturale de youssef Aoun est le lieu et l'instrument de sa thérapie spirituelle.

Joseph TARRAB

 

 

L'expression par la matière, lonque route vers le moindre mouvement générant le noyau même de la création.

Couleurs poussières et arides...

... Mais le pourquoi du sable, du plâtre, de la poudre de marbre, du ciment, de l'ovale ainsi que des symboles encore insondés est profondément ancré dans notre mémoire de la guerre.

Les murs portent nos empreintes:

La mémoire oubliée de notre passé.

Les brèches ouvertes dans le mur, ombres de notre lumière évanescente.

La magie de la matière nous ramène de notre égarement pour devenir notre témoin sur le chemin de l'invisible.

Youssef Aoun