Un baptême du feu injecté de dopamine

July 13, 2015
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Un baptême du feu injecté de dopamine

EXPOSITION

Pour son entrée en solo dans le monde des cimaises à la galerie Janine Rubeiz, Adlita Stephan a affiné ses crayons à la dopamine*. Espaces en noir et blanc avec, comme des pages de consolation, quelques couleurs pastel. Des motifs simples et répétitifs. Une narration tendue et mécanique, teintée de mysticisme et de sensualité pour conjurer l'angoisse et retrouver la paix. Du corps et de l'esprit.

Quarante-six pièces (allant de 2 m 33 x 3 m 30 à 23 cm x 15 cm) se fondant en une manière clinique sur des murs encore plus clairs sous la lumière vive qui les illumine en profusion par la verrière du plafond. Pièces silencieuses au murmure discret, à la volubilité redondante, à l'éloquence énigmatique.

Danse des chiffres, des lettres, des mots, des phrases (soigneusement calligraphiées, alignées avec application), en rangs serrés, carrés, tourbillons, cercles concentriques comme un plateau oriental de vannier. Avec ce mouvement giratoire des derviches tourneurs. Mouvement inlassable de toupie qui revient à la charge centrale de son énergie cinétique. Patient exercice à la barre pour échapper au quotidien.

Sortie d'un interminable et nauséeux bouchon d'embouteillage, Adlita Stephan, 38 ans, fille de la guerre vécue au pays du Cèdre et qui a touché de près la mort, arrive sur les lieux. Stressée et dérangée (qui ne l'est pas dans cette circulation infernale et insoluble?), se saisit d'un verre d'eau, s'assied sur la chaise et souffle narines dilatées.

Cheveux noirs d'ébène, ongles laqués bordeaux, t-shirt bustier noir, traits qui se distendent progressivement, regard châtaigne sombre gorgé de soleil (originaire de Ibrine dans le caza de Batroun), mais animé d'une étincelle de vie où luit l'espoir de toujours s'en sortir.

Ses mots à elle pour retrouver son parcours, le point d'origine d'une inspiration, d'un style, d'une expression, d'un point de départ. Pour mettre des paroles sur ces espaces comme rageusement griffonnés. Monde absent, faussement glacé, automatisé, nerveux, robotisé, décharné. Et pourtant fourmillant de vie et d'une sève impalpable.

 

Quelle impression pour une première expo en solo ?

De l'émotion bien sûr. Je suis arrivée, me dis-je, après m'être battue cinq ans durant...

 

Comment définissez-vous vos dessins ?

Je ne dis pas que je peins. Je n'aime pas non plus les appeler des dessins. Je projette mes idées, mes sentiments. Sans message. Je travaille sur papier. Tout simplement.

 

À quel rythme, quelle intensité ? Comment naissent ces lignes, cette écriture fine jusqu'à l'aveuglement, ces miniatures minimalistes, automatiques, obsessionnelles ?

Deux à trois heures par jour. Cela libère... Et tout m'inspire. La plupart des fois, la fringale du geste d'écrire, de manipuler le crayon à mine, me saisit la nuit. Mais aussi en cuisine, dans mon lit, par terre, en regardant la télé... Je peux passer du travail à la réflexion en passant par la méditation. C'est une attitude simple. Mais c'est aussi une quête spirituelle, un exorcisme, une sorte de transe.

 

Le choix de ce travail s'est imposé d'emblée ?

Pas tout à fait. J'ai entrepris des études en gestion et j'ai obtenu un master en marketing et communication de l'Iesav. Parallèlement, en constant doublé, il y avait aussi les beaux-arts à l'UL. Mais les petits coups de crayon, nerveux et superposés, comme une onde qui se propage, l'ont emporté... Et si j'ai placé cette première expo sous l'ombrelle de la dopamine, substance euphorisante et stimulante qui permet de se sentir bien, c'est pour me dissocier de ce qui m'entoure...

Pour un coup d'essai au sommet, l'appel de l'art semble être un coup de maître. Car en septembre prochain, à toute narration innovatrice tout honneur, et ce n'est pas un insigne honneur et encore moins une mince chance, Adlita Stephan est déjà retenue pour exposer à la Biennale de Pékin. Coup de crayon à suivre, sans obstruction, jusqu'à la Grande Muraille de Chine...

 

*Dopamine series est le titre de l'exposition d'Adlita Stephan à la galerie Janine Rubeiz, qui se prolonge jusqu'au 28 juillet.

 

L'Orient Le Jour | Edgar Davidian