Une vieille amitié me lie à Halim Jurdak, et je suis son travail avec la plus grande attention. Son itinéraire est celui d'un artiste qui cherche dans la peinture elle-même le secret de la peinture.
Halim Jurdak est de ces hommes qui savent être modestes tout en ayant les ambitions les plus hautes. Il me disait un jour: "Quand j'ai commencé à peindre, mon but n'était pas d'accumuler des expositions mais d'égaler les maîtres de la peinture: Cette phrase est sa signature.
Nous parlons de création, les religions en parlent, nous l'avons appris sur les bancs de l'école, mais nous réfléchissons rarement à ce mystère fondamental. Jurdak semble y penser sans arrêt. Il a pris la chose au sérieux, il y consacre sa vie. Pour lui le monde existe pour que nous existions.
Il n'a jamais mis en cause l'opportunité de peindre quand tout un monde croulait autour de lui. Je dirais même au contraire, Parce qu'il habite le monde des vérités, qui restent vérités.
Il simplifie tout problème dans une remarque qu'il me fait:
"le sujet est la qualité du tableau". Il peut se permettre une telle simplicité, parce qu'il porte en lui, à tout instant, le poids de son expérience.
II maîtrise, d'une part ses techniques et d'autre part, il assume pleinement sa propre philosophie de la vie et ses croyances. Il peut donc se permettre d'être simple, de vivre la simplicité de l'artiste qui réunit en lui-même l'artisan et le philosophe.
Dans ces moments de pure connaissance que Jurdak atteint, ses gravures, dessins, ou tableaux, sont eux-mêmes d'une pureté étonnante. Tout est tellement dense que tout devient comme immatériel. Les couleurs fondent dans l'air. L'œuvre se situe quelque part entre la feuille de papier et l'esprit de celui ou celle qui la contemple. On est toujours en face de quelque chose qui devient essentiel, inévitable. Il se sent dépouillé de tout, sauf de ce qui est la matière.
Ce qu'il dit de lui-même est absolument vrai. Il dit:"Je suis entré dans la couleur, le rythme et la tonalité." Ici on ne peut rien dire, mais j'aimerais qu'il sache que nous commençons à le comprendre.
Etel Adnan
Déc. 1996