Yvette Achkar

March 17, 2004 to April 08, 2004
Solo by Yvette Achkar
Galerie Janine Rubeiz

Yvette Achkar

Une gemme patiemment taillée

Voici une peinture paradoxale qui cache bien son jeu. Elle semble rapide, elle est lente, elle semble spontanée, elle est réfléchie, elle semble aléatoire, elle est calculée, elle semble improvisée, elle est mûrie, elle semble sentie, elle est pensée, elle semble organique, elle est construite, elle semble musicale, elle est géométrique, elle semble additive, elle est soustractive.

La forme y est espace, l'espace forme, les deux s'engendrant mutuellement dans une parfaite réciprocité. Il n'y a pas ici à proprement parler de figure et de fond, malgré le paradoxe, là aussi, d'ombres portées dans une démarche non-figurative. Les deux s'affrontent à égalité, d'autant que le « fond » est ce qui vient ici en dernier, comme une peau multidermique animée de pulsations, de frémissements, de passages, nuances et subtilités chromatiques « gustatives ». La seule chose qui ne relève pas de la raison souveraine de l'artiste est le choix, inexplicable, de la couleur éprouvée irrationnellement comme l'envie d'une « saveur » particulière : le jaune, le rose, le bleu... Avec, toujours, la présence quasi fétichiste du noir, qui ne cesse de fasciner Yvette Achkar.

Que serait le vide sans les parenthèses de couleurs qui l'enserrent dès les marges du tableau ? Que seraient ces parenthèses sans l'énergie de refoulement du vide qui les pousse en dehors du cadre ? Simultanéité de la contraction et de l'expansion : l'espace pictural, « cité » entre guillemets, dirait-on, les chasse vers l'espace extérieur, la peinture actuelle se prolongeant en peinture virtuelle. L'arcature d'un faisceau de couleurs incurvé vers le dedans appelle nécessairement son pendant symétrique, situé quelque part dans l'inachevé, le non-peint, le non-dit, le non-ne, invitant l'imagination à fermer les guillemets.

Non-né mais bien concu. Rien ici qui ne relève d'une volonté organisatrice totale, même les desquamations, les dégoulinures et les réseaux capillaires de ruissellement de la peinture liquide. Dans l'alchimie d'Yvette Achkar, c'est la dualité du soluble et du coagulé, du fluide et du solide, de l'eau et de la pierre, du chaos et de l'ordre, du tohu-bohu et de la création.

Organiser le chaos dans une longue gestation, c'est justement la manière de procéder d'Yvette Achkar. Chaque toile prend un mois de travail quotidien. Après le premier jet, une seule recette : enlever, dépouiller, alléger, en un mot soustraire. Et structurer les différents éléments, sans chercher le moins du monde à leur conférer un sens quelconque, en les ajustant, les agençant, les faisant correspondre les uns aux autres par des rapports, des proportions, des armatures géométriques, des contrepoints invisibles, comme autrefois les peintres construisaient des échafaudages mathématiques sous-tendant leurs mises en scène.

La peinture d'Yvette Achkar est une scénographie de la raison ordonnatrice qui se présente, pourtant, et c'est là le mystère de l'art véritable, comme une splendide énigme, telle une gemme brute patiemment taillée qui acquiert, grâce à ce facettage soustractif, une magie qui échappe à toute raison.

Joseph TARRAB

 

Inspiration et innocence, deux attributs communément discernés à l'artiste.

Je ne possède ni l'inspiration, ni l'innocence.

Le moment "Peinture": une exploration combien ardue, qui me tient en état d'éveil, où, tant de possibles se heurtent et sollicitent sens et pensée.

Le choix du parti pris est-il une forme d'inspiration, d'intuition? Qui sait?...

Yvette Achkar

2004